“Les femmes ont des difficultés à parler de façon concise lors des réunions, ce que je trouve embêtant »: voilà les propos de Yoshiro Mori, ex-président de l’organisation des Jeux olympiques de Tokyo et ex-Premier Ministre du Japon, qui ont provoqué un déluge de critiques au Japon et à l’étranger, ce qui l’a forcé à démissionner.
par la Campagne Rosa
Ce n’est pas la première fois que Mori s’exprime de façon discriminatoire: dans le passé il a encore exprimé des opinions ou fait des blagues controvertielles en public. Cette dernière provocation de Mori est survenue dans une période où la situation des femmes japonaises devient de plus en plus difficiles, en même temps que leurs luttes sont en train de se renforcer.
Le lourd fardeau des femmes japonaises
Avant la pandémie, les femmes de la classe ouvrière étaient prises au piège de l’irrégularité du travail de manière disproportionnée et c’est maintenant elles qui supportent le plus lourd fardeau des pertes d’emploi et des réductions de salaire pour protéger les profits. En 2014, le taux de pauvreté des familles monoparentales dirigées par une mère était de 54,6 %, alors que près de 70 % des travailleuses avaient un emploi non régulier.
Au début de la pandémie, une enquête d’une ONG (Single Mothers Forum) a montré que 59 % des mères célibataires voyaient leurs revenus baisser et étaient confrontées à des difficultées pour nourrir leurs enfants, ou obligées à recourir aux banques alimentaires. En 2019, les entreprises japonaises accumulaient un montant record de 506,4 billions de yens, et les bénéfices de grandes entreprises comme Toyota, l’un des principaux donateurs du PDL, n’ont pas été entravés par la pandémie.
Le gouvernement prévoit une aide financière supplémentaire de 480 dollars aux ménages monoparentaux et de 280 dollars supplémentaires aux ménages avec deux enfants ou plus dans son budget supplémentaire. Mais ces mesures sont loin d’être suffisantes. Au Japon, les femmes continuent de faire l’objet d’une discrimination bien ancrée, notamment lorsque les universités médicales bloquent les candidatures féminines en manipulant les résultats des tests, ou lorsqu’elles doivent se battre pour obtenir le droit de porter des lunettes sur le lieu de travail ou contre le port forcé de talons hauts dans le cadre d’un code vestimentaire sexiste.
Augmentation des suicides
Au Japon, le nombre de personnes qui se sont suicidées est bien plus élevé que celui des décès dus au COVID-19. Sans ignorer les suicides d’hommes (y compris les cas de karojisatsu ou de suicide dû au surmenage), ni ceux d’enfants (qui ont atteint leur taux le plus élevé en 2019), il s’agit là d’un autre problème qui touche particulièrement les femmes japonaises.
Le nombre de suicides de femmes au Japon en août 2020 a augmenté de 40 % par rapport à l’année précédente, le nombre de femmes dans la trentaine ou plus jeunes ayant augmenté de 74 %, un chiffre stupéfiant. Cette augmentation du nombre de suicides, en particulier chez les jeunes femmes, a été attribuée au « stress pandémique » et s’inscrit dans une tendance plus large de la fin d’une décennie de baisse des taux de suicide au Japon.
Manifestation des fleurs, le #MeToo japonais
Le mouvement #MeToo, même s’il n’a pas été aussi prononcé comme dans d’autres pays, a quand même pris racine au Japon et s’est transformé en un mouvement de lutte contre la violence sexuelle: il est connu en japonais sous le nom de « Manifestation des fleurs ». Engendré par un procès très médiatisé intenté par la journaliste Shiori Ito pour son viol par un grand journaliste de télévision, ce mouvement a ouvert un débat dans la société japonaise sur le harcèlement sexuel, les abus et la violence domestique.
Selon une enquête réalisée en 2017, seulement 4 % des femmes au Japon se manifestent pour signaler un viol ou un abus sexuel. Une enquête du Cabinet Office a montré qu’il y a eu 13 000 consultations de plus sur la violence domestique entre avril et novembre 2020 qu’à la même période en 2019, atteignant un record de 132 355.
Le mouvement de la « Manifestation des fleurs » a été lancé à la suite d’une série de procès pour viol ou violence sexuelle à partir de 2019, où les personnes jugées ont été acquittées pour des raisons telles que « la victime ne se débattait pas assez violemment » ou « l’auteur des faits a cru à tort que la victime lui avait donné son consentement ». Bien que certains de ces jugements aient été ultérieurement annulés et que les responsables aient été reconnus coupables, les manifestations se sont poursuivies dans tout le pays. En 2019, Shiori Ito a finalement obtenu 30 000 dollars de dommages et intérêts, ce qui est considéré par plusieurs comme une victoire importante.
Les manifestations des fleurs, souvent organisées par le biais de groupes ou de pages Facebook, ont eu lieu dans tout le Japon, et des appels ont été lancés pour qu’elles soient coordonnées en une seule journée d’action nationale, ce qui constituerait une évolution positive pour le mouvement.
Les luttes, seule réponse au sexisme
Le discours et les propos stéréotypés, comme ceux de Mori, sont aussi une forme de sexisme; grâce aux mouvements féministes de masse des dernières années, ce genre de propos n’est plus toléré. Les luttes des femmes contre l’oppression et le sexisme s’étendent de plus en plus, comme par exemple la dernière vague de #MeToo qui se répand dans plusieurs pays dans le monde.
C’est le système qui alimente les stéréotypes de genre, de race ou d’origine ethnique dans son but de diviser les pauvres et les opprimé.e.s et de les empêcher ainsi de se mettre ensemble et de lutter contre l’exploitation. La situation lamentable des femmes au Japon est effectivement une preuve frappante de l’échec de ce système. Les luttes des femmes japonaises, comme les luttes des femmes dans tous les pays, combinées avec les luttes de toutes les personnes opprimé.e.s et avec le mouvement des travaileu.se.s, sont le seul moyen de nous débarasser de ce système échu, et de transformer radicalement la société.
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